Une réflexion m'est venue à la lecture de l’avant-projet de loi pour la croissance et l’activité, également appelé "Projet de loi Macron", au regard notamment de la modification de l'activité d'avocat et des conséquences financières de cette loi pour le justiciable.
Le but de cette loi étant supposément de rendre plus accessible, parce que plus compétitif, le droit et la justice aux justiciables, il apparait surprenant que le projet de loi reprenne l’une des propositions du rapport Lacabarats, à savoir : étendre au champ prud’homal l’obligation de représentation en appel... sans pour autant prendre en considération une modification de l'article 700 du Code de procédure civile (Art. 700 Cpc).
Ce faisant, le législateur risque d'oublier le coût de cette loi pour le justiciable, ce alors même que l'octroi d'indemnités au titre des frais de représentation en justice (c'est à dire notamment les honoraires d'avocat décrits comme "hors dépens" par l'art. 700 Cpc), est laissé à la (trop) libre appréciation du juge.
La représentation en justice de plus en plus nécessaire
Soyons clairs : la proposition du Président Lacabarats, Président de chambre à la Cour de cassation, est inévitablement une bonne proposition. D'ailleurs, comme je le soutenais dans un précédent
article, l'essentiel de la procédure prud'homale est à revoir dans le sens des propositions du Président Lacabarats.
Mais si, hier, les procédures "orales" et sans représentation obligatoire par un avocat, étaient encore compréhensibles et "gérables" par un justiciable s'exprimant avec ses propres mots, ces procédures sont de moins en moins orales et de plus en plus techniques, du fait des pratiques des juridictions, de l'inflation législative et de la grande précision de la règle juridique.
Même les Conseils de Prud'hommes, le Tribunal d'instance et le Tribunal de commerce exigent de plus en plus que des conclusions soient déposées, alors que la procédure est en principe ORALE. Les présidents de ces mêmes juridictions invitent plus que fermement, avec un agacement à peine masqué, les justiciables à être assistés d'un avocat.
Combien de mes confrères avocats pourraient dire ne pas avoir été témoin d'au moins une scène devant un T.I. ou un CPH lors de laquelle le/la Président(e) "exigeait" fermement, en ordonnant le renvoi de l'affaire à une date ultérieure, que le justiciable revienne assisté d'un avocat ?
Et que dire de la procédure devant le Tribunal de commerce qui devient de plus en plus formaliste et reposant sur des écrits, nécessitant ainsi de savoir comment présenter sur la forme et sur le fond des demandes devant une juridiction ?
Tout cela n'est pas vraiment choquant : mais il faut arrêter les faux-semblants et instaurer officiellement la représentation obligatoire, éventuellement, la procédure écrite et prendre, en conséquence, les mesures qui s'imposent pour l'appréciation, pour les justiciables, de leurs frais de justice.
A l'heure du RPVA, tout cela me semble tomber sous le sens.
Il n'y a plus guère que devant certaines juridictions pénales (ex. : le Tribunal de Police), pour de petites infractions, et devant certains juges de proximité, qu'on peut encore défendre soi-même son affaire, sans avocat, et sans risque de se le voir reprocher par un magistrat.
Le coût de la représentation peu ou pas pris en compte par les juridictions
Hors mis certaines juridictions, comme la 3ème chambre civile du Tribunal de grande instance de Paris (et encore ! devant certaines formations seulement et dans certaines conditions), force est de constater que les juridictions ne sont pas généreuses en "article 700" (
l'article 700 du Code de procédure civile permet de demander au juge de condamner la partie qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme que le juge détermine, au titre des frais exposés, dont les frais d'avocat, et n'entrant pas dans la catégorie "dépens").
A l'heure actuelle, le texte est clair : c'est le juge qui détermine la somme qu'il y aura lieu d'allouer.
C'est la raison pour laquelle le justiciable (particulier ou société, peu importe), auquel la justice donne gain de cause, ne se verra pas forcément indemnisé totalement des frais d'avocat exposés pour sa représentation par un avocat en justice. Il est en effet très rare qu'un justiciable soit remboursé à 100% par la partie adverse de ses frais d'avocat, même quand il gagne son procès.
Cependant, heureusement, les demandes au titre de l'article 700 Cpc sont modérées par le juge lorsqu'il est face à un particulier dont les ressources sont limitées. Mais le plafonnement des condamnations au titre de l'article 700 Cpc devraient être l'exception et non la règle...
C'est un peu le contraire qui se produit : ce n'est pas acceptable. Et si les juridictions voulaient faire passer le message qu'une procédure coûte toujours de l'argent à celui qui l'intente et que par conséquent il faut y réfléchir à deux fois : 1) le message n'est toujours pas passé, donc il ne serte à rien d'insister ; 2) il faudrait motiver un peu le jugement sur ce point, au moins autant que les avocats s'attachent à le motiver dans leurs conclusions.
L'article 700 du Cpc : une pratique judiciaire obscure
En réalité, la pratique d'une juridiction à l'autre varie de manière extrême quant aux modalités d'application de l'article 700 du Cpc.
En dehors de la 3ème chambre civile du TGI (chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris compétente en matière de propriété intellectuelle), il me semble que la juridiction pouvant se montrer la plus généreuse en matière d'article 700 est le Tribunal de commerce. Corrigez-moi si vous n'avez pas le même sentiment.
Ce n'est toutefois pas un fait statistique documenté, comme d'ailleurs aucun des "sentiments" que je livre dans le présent article... mais c'est l'impression globale de 10 ans de pratique en matière judiciaire.
Et, quelque soit la juridiction, il y a de trop nombreuses situations dans lesquelles on se demande pourquoi le justiciable est privé d'article 700 Cpc : seule la mention "Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du Code de procédure civile" figure au "Par ces motifs" de la décision, sans autre mention dans le dispositif du jugement.
Autrement dit, les juges se justifient rarement du rejet de la demande indemnitaire formulée au titre de l'article 700 Cpc : il rejettent et point barre. Pas d'explication.
Ils ne se justifient pas davantage de l'octroi d'un article 700 démesuré par rapport à l'état de fortune de la partie condamnée, quand bien même l'article 700 est supérieur aux dommages intérêts octroyés au principal.
Même les avocats - que les justiciables se rassurent - s'interrogent :
Est-ce par oubli / omission de statuer ou par une copier-coller malheureux de la précédente affaire ? (Ne riez pas, j'ai des exemples)
Est-ce pour sanctionner un avocat que le juge a trouvé trop long ou trop mauvais ?
Est-ce par pitié/clémence pour la partie condamnée ?
On aimerait tous que ce soit pour la dernière raison, et fort heureusement, c'est parfois le cas.
Mais trop rarement. Le plus souvent, on ne sait pas précisément pourquoi, par défaut de motivation, de la décision sur ce point.
Des condamnations à l'article 700 Cpc au gré de l'humeur du juge ?
Le sentiment doit-il être que l'article 700 Cpc est accordé à la "gueule" du client... et/ou de son avocat ?
Combien de fois ai-je eu le sentiment que j'étais sanctionné, moi, au travers de mon client, pour un dossier que le magistrat a mal évalué ? Et honnêtement, si je reconnais volontiers qu'il arrive qu'un avocat ne trouve pas la formule miracle pour faire comprendre le dossier au magistrat en une phrase...
... je pense néanmoins écrire suffisamment français pour être compris et avoir une tête suffisamment passable pour ne pas provoquer un dégoût viscéral.
Mais, je dois me tromper et sans doute avoir une sale gueule ("même pas je le touche avec un bâton tellement il moche cet avocat, je ne lui donne pas son article 700"), car même lorsque un client particulier (une jolie et jeune photographe, par exemple) gagne face à une entreprise richissime (pas de détail pour ne fustiger personne) voit ses demandes acceptées par le Tribunal au titre de contrefaçon, l'article 700 accordé est très inférieur aux sommes réellement engagées par le justiciable...
Par conséquent, je me demande forcément où pêche le dossier. Mais le dossier est bon, et il n'y a pas d'erreur dans la formulation ou dans la complétude de mes demandes.
Et, inversement, il m'est arrivé de constater des situations où un pauvre bougre devenu rapidement sans le sou, entraîné malgré lui dans une procédure contre son banquier, se voyait condamné à un copieux article 700 Cpc... et, là, je me demande où est la clémence du Tribunal.
Ce n'est donc pas la pitié ni la clémence pour la partie condamnée qui motive certaines juridictions, qui se contre-fichent totalement de cet élément. Ce n'est pas non plus en raison de la qualité du travail fourni par l'avocat (ou alors seulement dans l'imaginaire de la juridiction qui verra par la suite sa décision réformée par la Cour d'appel). Ce doit être plutôt lié à une humeur du magistrat, sans pour autant qu'il y ait un raison valable d'avoir cette humeur.
Et c'est sans doute pour cela qu'à plusieurs reprises, dans des dossiers où j'ai eu le sentiment d'être sanctionné par le Tribunal pour la qualité de ma prestation ou de ma relation avec le magistrat qui s'est agacé pendant ma plaidoirie sans que je me laisse faire, devant la Cour d'appel, non seulement ai-je obtenu gain de cause, mais également un article 700 Cpc, sans quasiment changer une ligne de mon argumentation (sauf celles qui consistaient à démonter le jugement pièce par pièce).
Ce n'est donc objectivement pas la qualité du travail de l'avocat ou la tête du client que le magistrat apprécie (du moins peut on l'espérer).
Dans tous les cas, l'appréciation du principe et du montant de l'article 700 ne devrait être laissée au magistrat que de manière partielle afin de réduire l'aléa du coût de la procédure... car il convient de rappeler que c'est le justiciable qui est sanctionné.
La définition et l'appréciation de l'article 700 Cpc doivent changer
Le petit jeu de devinette sur les motifs de l'application ou non de l'article 700 Cpc doit cesser : au bout, c'est le justiciable qui paie les pots cassés et il n'y aucune raison à cela.
Pour "moduler" sa condamnation, le juge peut prononcer ou non l'exécution provisoire. C'est déjà un pouvoir suffisamment "nuisible" aux parties pour les conduire à la réflexion. Mais l'article 700 Cpc devrait être un paramètre objectif, rationalisé, voire algorithmique.
La règle de l'article 700 pourrait être aisément modifiée en droit français : le gagnant d'un procès, s'il est en demande, et s'il n'est pas face à un particulier non professionnel, devrait obtenir 100 % du montant des dépens et des frais irrépétibles qu'il sollicite, dès lors qu'il justifie de la dépense effective de ces frais.
Et il n'y a rien de manichéen ou d'idéaliste en cela : c'est une appréciation purement économique, qui - me semble-t-il - entre parfaitement dans le dispositif de la loi Macron. Un procès pour quelqu'un qui obtient gain de cause, ne doit pas être, en sus de l'attente de recouvrer sa créance, un coût supplémentaire.
On pourrait également établir un barème en dessous duquel, selon la situation (particulier ou professionnel) le juge ne peut pas passer. Et il est possible, dans le même temps, de prévoir un plafond en fonction des ressources justifiées par la partie qui perd son procès.
Enfin, le seul cas dans lequel il me semble juste qu'aucun article 700 Cpc ne soit appliqué est celui où le juge constate par lui-même que les deux parties au procès ont des torts respectifs. Cela obligerait notamment les juridictions, indirectement, à motiver et à justifier de ce que aucun article 700 ne serait prétendument mérité en soulevant la réciprocité de fautes.
Mais dans tous les cas, je pense qu'il est grand temps de ne plus laisser au juge l'entière maitrise des coûts du procès, dépens et frais irrépétibles inclus, car il me semble que la règle est appliquée de manière bien trop aléatoire.
Ce dont le justiciable et l'avocat ont besoin est d'une certaine forme de lisibilité, même si l'aléa judiciaire demeure attachée à la souveraine appréciation du juge. Car, à l'heure actuelle, il est pénible pour l'avocat et pour le justiciable de devoir se ranger à l'idée qu'en matière d'article 700 Cpc, c'est la surprise.