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mardi 21 octobre 2014

Réformer les prud'hommes, une nécessité de troisième révolution industrielle

Une récente étude du Ministère des Finances et des Comptes Publics, en date du 16 octobre 2014, démontre que la majorité des jugements des Conseils de Prud'hommes en France est remise en cause, ce qui est un signe de manque de fiabilité du système prud'homal paritaire en place.

Le constat est alarmant. Il est davantage alarmant que Bercy ait mis plus de 15 ans à se rendre compte de ce que dénoncent déjà de longue date, non seulement les avocats, mais également un certain nombre de magistrats professionnels qui siègent ou ont siégé en chambre sociale de la Cour d'appel ou de la Cour de cassation... à l'instar de l'excellent rapport du Président Lacabarats, Président de Chambre à la Cour de cassation, remis en juillet dernier au Garde des Sceaux.

Et ce n'est pas la première fois qu'on frémit à entendre les statistiques des Conseils de prud'hommes.

Pour donner une opinion bien tranchée sur le sujet, bien loin des tirades du comptoir du commerce, je me bornerais à rappeler très de manière très factuelle et juridique, que le Conseil de prud'hommes est une juridiction paritaire.

Autrement dit, chaque formation du Conseil de Prud'hommes (référé ou fond) est composée d'autant de conseillers élus du collège des employeurs que du collège des salariés (1 élus du collège employeur + 1 élu du collège salarié pour la formation de référé ; et 2 élus de chaque pour la formation plénière qui statue sur le fond du litige).

Le propre d'une formation paritaire est, par définition, de se bloquer si les 4 magistrats, divisés en deux camps bien démarqués, votent les uns contre les autres

Cela parait bête à dire, mais parfois les constats les plus simples sont à l'origine des plus belles réformes. Or, la formation paritaire est unique en France : dans toutes les autres juridictions, sans exception, le législateur a toujours prévu un nombre impair de magistrats, précisément pour éviter une situation de "ballotage".

Et précisément, le propre d'une formation paritaire est, par définition, de se bloquer si les 4 magistrats, divisés en deux camps bien démarqués, votent les uns contre les autres. C'est exactement ce qu'il se passe dans de très nombreuses situations.

Et plutôt que de faire du droit et de rendre justice, on constate que de nombreux jugements ressemblent à ceux du Roi Salomon : personne n'a raison, tout le monde à tort, "circulez, il n'y a rien à voir". 

Cela permet notamment d'éviter l'humiliation du départage ? Nul ne saurait répondre à cette question puisqu'il faudrait rentrer dans le détail des discussions et chamailleries entre conseillers prud'homaux en pleine tentative de rendre un délibéré consensuel.

Pour avoir été côté employeur comme côté salarié, j'en suis personnellement témoin : plutôt que de faire du droit certaines formations prud'homales coupent la poire en deux, parfois de manière parfaitement grotesque, et mettent fin au litige en donnant tort aux deux parties au procès. C'est une pratique devenue malheureusement trop courante qui explique largement le taux d'appels important.

Ce n'est pas ce qu'attendent les Français de leur Justice : qu'ils soient employeurs ou salariés.

Les spécialistes seraient tentés de répondre immédiatement "oui, mais en cas de ballotage au sein de la formation paritaire, il existe la formation de départage".

Des conciliations trop rares, et des départages et des appels trop nombreux

La formation de départage du Conseil de prud'hommes est celle qui est composée d'une formation paritaire, présidée par un magistrat professionnel rattaché au Tribunal de grande instance territorialement compétent (à savoir donc : 2 conseillers prud'homaux du collège des salariés + 2 conseillers prud'homaux du collège des employeurs + 1 juge professionnel du TGI).

Le problème est précisément que le taux d'affaire mise en départage est croissant, inégal sur le territoire "variant de 41 % à Angers, 43 % à Bobigny mais de 1 % à Cherbourg ou 3 % à Aix-les-Bains" nous apprend l'étude du Ministère des Finances.

Dans les deux premiers cas, c'est trop. Dans les cas de Cherbourg et d'Aix les Bains cela paraît  une statistique anormalement basse, sauf à êtres les meilleurs élèves de la classe (c'est à dire avec le taux d'appel le plus faible de France, ce qui n'est pas démontré dans l'étude...).

Surtout, la fonction première du Conseil de Prud'hommes est d'instaurer une procédure de Conciliation obligatoire.

Or, l'étude du Ministère des Finances nous apprend que "l'étape obligatoire de conciliation prud'homale n'a permis de résoudre le litige que dans 5,5 % des affaires en 2013."

C'est extrêmement faible. Et si je dois reconnaitre qu'il m'est arrivé de faire face à des formations de conseillers prud'homaux très incitatives à recourir à la conciliation ou à inciter à une transaction avant l'audience de jugement, il faut bien dire qu'elles sont des exceptions.

Le résultat de l'étude de Bercy est là : la plus mauvaise note est attribuée à la phase de conciliation.

Vient ensuite le problème de la formation paritaire de jugement qui se met en situation de blocage et qui rend des jugements vides de sens pour ne pas recourir au départage et pour ne pas avoir à se mettre d'accord. La faillite du système est constatée.

Des solutions : une phase conciliation plus "coercitive", la rupture conventionnelle, le droit collaboratif, la transaction

Dans la plupart des cas, il faut bien reconnaitre qu'il y a un problème humain, viscéral, passionnel dans le débat qui est parfois bloquant pour trouver une issue dans la conciliation, le droit collaboratif ou une solution négociée.

Les justiciables ont donc la première place de "fautifs" dans l'échec de la conciliation : les Prud'hommes sont vus, à tort, par les parties, comme une juridiction où tout est possible, notamment en raison du caractère passionnel du conflit. Il faut casser cette image désuète. L'avocat est le deuxième responsable de l'échec de la conciliation : c'est à lui de faire entendre raison à son/sa client(e) ; ce n'est pas au client de dicter la conduite du procès.

C'est en effet là que doit intervenir l'avocat et, à défaut, que la réforme de l'institution prud'homale doit être envisagée. En effet, si des solutions existent, ce n'est pas seulement dans l'idée d'une phase de conciliation plus "coercitive" (après réforme) : la rupture conventionnelle, le droit collaboratif, la transaction... sont autant d'outils qui sont activement utilisés, et hors statistiques.

Mais peut être pas encore suffisamment. Le droit collaboratif parait pourtant notamment une voie originale et moderne de sortir du conflit : c'est la voie de la troisième révolution industrielle du prophétique Jeremy Rifkin (La Troisième Révolution Industrielle, éd. Broché, janvier 2012) ... mais également de Richard Susskind (The End of Lawyers, Oxford univ. Press, 2010).

A ce titre, et pour revenir aux statistiques, la phase de conciliation est la vraie bonne idée dans la procédure prud'homale. Mais, malgré les efforts faits pour obliger les parties à venir ou à se faire correctement représenter (exception au mandat ad litem des avocats), force est de constater que personne ne croit à cette phase : ni les parties, nie leurs avocats, ni même la plupart des conseillers prud'homaux qui n'arrivent même pas eux-même à se mettre d'accord (comment peuvent-ils alors prétendre faire la leçon à ceux qui les ont élus ?)

Or, Bercy s'inquiète du coût engendré par les Conseils de prud'hommes pour une efficacité toute relative. 

Il serait donc intéressant d'envisager de rendre plus coercitive cette phase de conciliation, ainsi que plus confidentielle - et peut être hors la présence de conseillers prud'homaux, à l'instar de ce qui est fait au Tribunal d'instance, en Juridiction de proximité et devant le Jude aux affaires Familiales, par l'intermédiaire d'un processus semblable à la médiation, c'est à dire non pas limité à une seule audience, mais à deux ou trois rencontres obligatoires des parties pour avancer sur des points de désaccord.

Vers une procédure prud'homale davantage figée dans le temps et dans le respect absolu du contradictoire

Si cette phase de négociations / conciliation, plus longue que celle qui existe actuellement n'aboutissait pas, il me semble évident que la réforme des Conseils de prud'hommes nécessite une présidence plus forte, chapeautée par un juge professionnel, avec des délais procéduraux courts et l'obligation de recourir à une procédure selon un calendrier impératif, impliquant le rejet des prétentions et pièces communiquées tardivement.

Et lorsque je dis "rejet", cela signifie rejet automatique : le dossier ne serait alors même pas accepté par le Conseil de prud'hommes de manière "robotique"... ou alors il faut davantage de déontologie dans la gestion des dossiers contentieux, comme le suggère Monsieur Lacabarats, impliquant la soumission à un hiérarchie, des règles et des sanctions.

S'agissant du caractère impératif et quasi automatique du calendrier procédural, les avocats sont déjà habitués aux calendrier procéduraux et au caractère implacable du RPVA. Les justiciables correctement informés s'y feront. 

Pour y arriver, là encore c'est extrêmement simple : le demandeur doit déposer son dossier, par voie électronique et/ou papier, avant une date certaine, validée par le Greffe qui vérifie la complétude du dossier. Si le dossier n'est pas complet, l'affaire est automatiquement radiée, sans audience.

Idem pour la défense qui a un délai impératif pour conclure et déposer pièces et bordereau de pièces : si le dossier en défense n'est pas complet, il est pris dans l'état où il se trouve ; s'il n'est pas livré à temps, il est rejeté.

Toujours la même chose pour l'appel : il faut impérativement passer à une procédure écrite avec ou sans représentation obligatoire peu importe, notamment parce que cela mettra un coup d'arrêt aux appels irréfléchis ou dilatoires.

Le but de toutes ces mesures est d'accroitre l'efficacité de la procédure prud'homale et d'éviter la solution tardive du départage qui fait presque double emploi avec l'appel : ce gaspillage n'est absolument plus tolérable, en particulier à l'heure où l'on parle de "troisième révolution industrielle" et d'optimisation de la consommation des énergies.

Pour ceux qui ne seraient pas encore persuadés de l'évidence de la réforme et qui souhaiteraient une vision - pour partie - plus consensuelle de cette nécessaire réforme, je les invite à prendre connaissance de l'excellent rapport de Monsieur le Président Alain Lacabarats, Président de chambre à la Cour de cassation, rendu en juillet 2014 et comprenant pas moins de 45 propositions pour moderniser les Conseil de prud'hommes.