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mercredi 30 avril 2014

Légitime défense et non assistance à personne en danger : amalgames quant à l'agression du métro de Lille

L'agression de la jeune femme du métro de Lille fait encore des échos.

Ce matin, je lis un Tweet d'une des Twitteuses de mes listes se disant avoir la nausée à la lecture de ce billet, écrit par l'un des témoins visuels de l'agression du métro de Lille.

La lecture de ce billet est édifiante : l'auteur anonyme, pour se justifier, fait plusieurs amalgames entre féminisme, machisme, légitime défense et non-assistance à personne en danger.

Pour couronner le tout, comme si cela avait un rapport, le témoin auteur du billet indique qu'il a eu affaire avec la justice en raison de son divorce récent, et que cela fait partie de ce qui motive sa décision parfaitement assumée de ne pas avoir agi.

J'en reste ébahi. Et si ce témoin ne semble pas avoir honte.... j'en suis bien triste pour lui. Surtout, j'invite cette personne à ne surtout pas réitérer de tels propos si elle était poursuivie par la justice pour non-assistance, comme elle en évoque elle même la possibilité. 

Je trouve personnellement bien peu prudent de s'exprimer ainsi en public. Soulagez votre conscience auprès d'un psy, d'un prêtre, d'un imam ou d'un rabbin... mais pas publiquement. 

De mauvaises langues pourraient prétendre que ce billet est proche de l'incitation à adopter un comportement similaire en pareille situation. Je préfère me contenter de souligner que l'auteur se complait un peu trop dans son inaction.

A cet égard, il me semble utile de faire quelques rappels à ce Monsieur ainsi qu'à ceux qui auraient pu être influencés par un ou deux de ses arguments que je trouve particulièrement dangereux pour la société : 
  1. S'il n'y a pas eu viol, il y a bien eu "attouchements" comme l'énonce lui-même l'auteur dans son témoignage à retardement ("Le sale type aviné commence donc à peloter la fille" - sic) ; la loi définit ce type d'acte comme une "agression sexuelle", sous l'article 222-22 du Code pénal et elle punit l'auteur d'une telle agression de 5 ans d'emprisonnement et de 75000€ d'amende.

    Le simple fait de minorer les agissements de l'agresseur sexuel, comme le fait ce témoin dans son billet, est inacceptable.

    La condamnation morale de la prétendue attitude de la victime est encore plus intolérable. L'auteur irait-il jusqu'à prétendre qu'elle le méritait ? Tout cela pour justifier son inaction ? En cas de viol, ce sont les mêmes qui disent "oh ben elle était trop courtement vêtue aussi".

    Je retiens les injures qui me viennent soudainement à l'esprit.
  2. Le problème de légitime défense et le problème de la non-assistance à personne en danger ne sont pas des notions à mélanger, même s'il y a effectivement un lien entre elles ; sans mettre un coup de fusil à l'agresseur de la jeune femme du métro de Lille, ce Monsieur aurait pu réagir, faire entendre sa vigoureuse voix de mâle, voire, même, s'interposer.

    A ce titre, petit rappel de la loi sur la non-assistance à personne en danger (article 223-6 du Code pénal) : "Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende".
    Coïncidence : la peine maximale potentiellement requise à l'encontre de celui qui n'agit pas est la même que celle de l'agresseur sexuel. 

    Que ce soit dit et rappelé à tous les hommes qui pensent que l'expression de leur virilité, même dans un cas pareil, serait prétendument déplacée.
  3. La légitime défense permet d'user de moyens proportionnés à l'attaque ; donc sans risquer d'engager sa responsabilité, on peut largement user de la force physique d'un homme contre un autre homme (voire d'une femme contre un homme, j'en connais certaines qui auraient volontiers placé les testicules de l'agresseur à la place de ses amygdales), à armes égales, notamment pour défendre une femme.
    En effet,
    l'article 122-5 du Code pénal nous indique : "N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte.N'est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu'un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction."
    On peut donc, pour empêcher un crime ou un délit user d'un acte de défense de soi-même ou d'un tiers... la situation des témoins désarmés dans une rame de métro à Lille ne me parait donc aucunement comparable à la situation d'un bijoutier à Nice qui s'est armé pour faire face à une attaque.

    Le témoin est déçu par la décision d'un(e) JAF quant à l'issue de son divorce. Ok. Et alors ? quel rapport avec l'appréciation de faits pénaux par les juges qui statuent en matière pénale ? arrêtez, de grâce, de fustiger une justice que vous semblez bien mal connaitre.

    Sans même évoquer la préparation à l'attaque, que certains procureurs culottés n'auraient pas manqué de qualifier de préméditation, le bijoutier qui s'arme n'est pas du tout dans la même situation qu'un passager qui réagit, sur le vif, dans une rame de métro. La parallèle faite par l'auteur du billet me parait donc dangereuse.

Il convient d'évacuer les arguments spécieux de ce témoin de l'agression sexuelle commise en avril 2014 dans le métro de Lille et d'affirmer que : 
  • Il y a bien eu un délit de commis et l'agresseur n'a pas été condamné, au fruit du hasard ou selon l'humeur de juges capricieux, comme semblerait l'entendre, de manière suggestive, l'auteur du billet ;
  • Des témoins de la scène auraient pu réagir sans risquer d'être condamnés du fait de leur assistance à la jeune femme en danger ;
  • La seule interrogation purement morale porte sur le jugement par l'opinion publique de l'attitude des témoins de cette agression.

TOUS les témoins de la scène auraient dû montrer les dents ; ouvrir leur bouche plutôt que de fermer leur gueule. 

A cet égard, le seul point sur lequel je rejoindrais l'auteur du billet en cause, est qu'il est très difficile de dire comment on aurait réagi dans un cas pareil. Et en c'est en cela qu'il est difficile de condamner pénalement tous les témoins de la scène pour non assistance à personne en danger.

De fait : si aucun homme de la rame n'a réagit, aucune femme non plus, visiblement. 

Et sans me risquer, comme l'a fait ce témoin, à des appréciations sur la virilité perdue ou le féminisme de notre société, je continue de croire que, mâle ou femelle, l'Homme est un animal social doté d'instinct de conservation, comme les autres animaux... et que tous ont eu peur... ou ont pensé qu'il valait mieux ne rien dire que d'envenimer les choses, selon l'auteur du billet. C'est une question d'appréciation que tranchera (ou pas) la justice.

Sur la question de savoir si tous les témoins de la scène sont tous auteurs d'un défaut d'assistance à personne en danger, par conséquent, je suis d'accord avec l'auteur du billet : la question est en réalité bien plus compliquée qu'elle ne parait.

La triste réalité est la suivante (et ceux qui en ont déjà été témoins seront d'accord avec moi) : il n'y a pas eu l'étincelle du meneur pour montrer l'exemple. Et ce que souligne parfaitement ce témoin est que dans une pareille situation tout le monde a peur : la victime, les autres, peut-être même l'agresseur qui ne comprend pas encore que son excitation provient pour partie d'une peur enfouie sous l'alcool.

Et oui, l'acte de défense commandé par l'article 122-5 du Code pénal provoque une décharge d'adrénaline au moment du passage à l'acte, mais avant l'adrénaline on est le plus souvent frappé de torpeur, de tétanie. 

La peur est légitime en situation d'agression physique.

Mais le billet de ce témoin semble réduire le choix de l'assistance à une personne en danger à un choix comparable à celui de se rendre ou non dans un bureau de vote. Or, agir en pareil cas est une obligation légale, loi de police oh combien plus impérative que le fait d'aller voter ou non. 

En cela ce témoignage est hallucinant : que ce Monsieur pense ce qu'il veut, mais qu'il n'écrive pas des absurdités du type : " je comprends pourquoi les soldats violent les filles en territoire ennemi. A mon avis, ils se vengent de leurs propres femmes, de tout ce qu’elles leur font subir au quotidien sous couvert d’innocence. Tout ce contrôle social qui monte en épingle des gestes déplacés, c’est le meilleur moyen de frustrer abusivement toute une population d’hommes ".

Oui, tout le monde a peur. Je l'ai expérimenté à deux reprises (dans le métro parisien) et l'une des fois où j'ai réagi, on m'a effectivement regardé comme si j'étais fou. Effectivement, c'était moi le taré puisque j'ai agi seul. Etrangement, un constat proche de celui qui est fait par ce témoin : personne d'autre ne s'est levé. Pas même le gros balaise au fond de la rame.

Or, devant l'intolérable, ce n'est pas à une personne de se lever, mais à toute la rame de métro.

Et ce n'est pas une question de testostérone, de virilité ou de justice : c'est une question de faire ce qui vous parait juste et approprié en votre âme (si vous pensez en avoir une) et conscience.

Il ne s'agit donc pas de fustiger davantage l'auteur de ce billet maladroit sur son attitude au moment des faits. En revanche, je pense utile de combattre sa détestable opinion, avec le présent billet d'humeur en réponse au sien. 

La seule vraie interrogation vers laquelle cet auteur aurait pu diriger ses lecteurs aurait été, plus humblement, vers des questions du type : qu'auriez vous fait ? Vraiment fait, pas "probablement fait". Sans vous la raconter. Agirez-vous la prochaine fois ? Et si vous n'êtes pas seul ? Et si vous êtes seul à réagir, saurez vous affrontez les regards fixes dans le vide pour leur demander de se lever avec vous ? Aurez vous le courage de vous diriger, seul(e) vers l'agresseur alors que vous n'avez en apparence pas le soutien, voire même, que n'avez que la désapprobation silencieuse de toute la rame de métro ?

Et voici une invitation à l'inverse des termes de celui dont je combat l'opinion : tentez le coup et réagissez, au moins de loin ; il sera toujours temps de fuir si jamais l'agresseur se tourne vers vous. Et peut-être que votre initiative en fera réagir d'autres.