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jeudi 15 décembre 2016

Les Fleurs du Mal de la concurrence déloyale

Nous nous souvenons tous (enfin les praticiens de la PI) des merveilleux arrêts "Interflora" qui détricotent le droit des marques face à Google en permettant d'utiliser la marque d'un concurrent sur Google Adwords (dans certaines conditions, attention ! ne faites pas n'importe quoi). C'était déjà en matière de fleurs.

Aujourd'hui on va plus loin : on permet à un fleuriste d'utiliser les photos d'un concurrent pour illustrer son site internet...

En effet, dans un arrêt du 09 décembre 2016, la Cour d'appel de Paris a jugé que le fait de reproduire les photos commerciales d'un concurrent et donc faire l'économie de développer soi-même ses propres outils commerciaux / marketing / publicitaires ne constituerait pas des actes de concurrence déloyale.

Ah bon ?!

1. LES FAITS


La société Réseau Fleuri / Flora Jet a capturé et extrait du site www.aquarelle.com quatre photographies de compositions emblématiques de la société Aquarelle.com et, après avoir procédé à des “retouches” mineures, la société Réseau Fleuri les a mis en ligne sur son propre site internet ainsi que sur des documents promotionnels.

En cause d'appel, la société Aquelle.com invoque des actes de concurrence déloyale tout en faisant état d’un détournement de ses investissements, ce qui s’analyse en un grief de parasitisme également dirigé à l’encontre de la société Réseau Fleuri.

2. LES ARGUMENTS RETENUS PAR LA COUR A TITRE DE "MOTIVATION"

Sur ce, la Cour estime que les photographies dont Aquarelle.com est l'auteur sont similaires à  celles utilisées par d’autres fleuristes pour présenter leurs produits, de sorte qu’aucune faute de Réseau Fleuri / Flora Jet ni aucun usage contraire à la libre concurrence économique ne seraient caractérisés.

Eh, non. On mélange là la similarité et originalité de la représentation graphique du bouquet de fleur : ce n'est pas parce que comme d'autres vendeurs du même type de produits j'utilise des photos similaires que mes concurrents ne font pas un usage contraire à la libre concurrence économique en profitant de mes moyens de communications développés en interne. 

Pour motiver son arrêt, la Cour retient qu'une telle présentation faite par Réseau Fleuri / Flora Jet pour commercialiser des produits similaires par le même circuit de distribution, permettant de faire l’économie des efforts qu’elle dit avoir déployés, ne présenterait en soi aucun caractère déloyal.

Rien que ce postulat / cette motivation pauvre d'argument, est erroné car il va, d'emblée, dans le sens contraire de dizaine d'autres jurisprudences, y compris de la Cour de cassation qui estime justement que faire des économies sur le dos d'un concurrent, en utilisant sa notice d'utilisation, ses conditions générales de ventes, ses photos de présentation de produits (ah bah, tiens, ça ressemble au cas d'espèce non ?) est en soi un acte de concurrence déloyale par parasitisme.

On marche déjà sur la tête, sur ce premier morceau de motivation.

Le reste est encore plus grandiose.

Pour la Cour, le constat du succès de la présentation commerciale et graphique de ses produits démontré par Aquarelle.com, tels que présentés sur son site internet au moyen des photographies en cause, serait sans incidence, tout comme celui de l’avantage concurrentiel supposé obtenu de ce fait par la société Réseau Fleuri.

Ah bon ?! (bis repetita, je sais.)

Et pourtant, juste avant de se lancer dans cette explication discutable, la Cour exposait bien que : "seule une captation des investissements faite dans des circonstances déloyales est de nature à caractériser une faute de parasitisme".

Donc, comme la 3ème civile du TGI avant elle, la Cour d'appel de Paris déduit que le travail fait, en interne, dans l'entreprise Aquarelle.com, consistant à utiliser "un matériel photographique performant et des outils informatiques et logiciels nécessaires au traitement des clichés, l’organisation administrative des séances, un travail technique et intellectuel de prise de vue, la maîtrise d’un savoir-faire, un travail de sélection des clichés et de mise en ligne sur un site de commercialisation, des investissements en réalisation de site et en promotion des images vendue", parce qu'il n'est pas justifié par des preuves d'investissement, ne serait pas un investissement humain, matériel et donc financier.

Houlà ! Danger ! Alors, ok, désormais il faut fournir à la Cour : des attestations de salariés (qui valent ce qu'elles valent) qu'ils ont fait des photos ; produire également leur bulletin de salaire ; et pourquoi pas leur demander dans l'attestation de justifier du temps passé à toutes les opérations nécessaires pour mettre en ligne des photos de bouquets de fleurs. Et puis, tant qu'on y est, justifions aussi : du temps passé à faire et refaire les photos, les retoucher, les re-mettre en ligne ; mettre à jour les nouveau bouquets de la collection ; compter les pauses pipi, les pause café, le 5 à 7 (oups ! ah non c'est du harcèlement, pardon) ; compter le nombre de crayons utilisés (ah, non ! Tout est informatique désormais, donc le nombre de disquettes floppy dont certains de mes lecteurs n'ont probablement jamais connu l'existence, comme ceux qui savent pas que, avant, on mettait une pellicule dans un appareil photo)...

Délirant...

Que la Cour limite le montant de l'indemnisation en fonction de la preuve de l'importance des investissements, soit.

Mais cette décision de débouter purement et simplement Aquarelle me parait très clairement excessive et démontre, à mon sens, un certaine marque de mépris de la Justice à l'égard du petit monde du commerce internet qui sont adepte du DIY et qui ne pourront que très difficilement justifier des investissements réalisés pour leur com / pub / maheting, home made.

Amis de la langue française, pardon pour les anglicismes à répétition.