Un article de Marine Babonneau paru dans Dalloz Actualités nous apprend qu'un magistrat pourrait faire l'objet d'une décision d'abaissement d'échelon (comprenez "rétrogradé" quoique le terme soit imprécis) parce qu'il aurait abusivement fait valoir sa fonction.
Une telle décision (prévue pour le 19 décembre prochain), si elle était rendue par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ne pourrait être acceptable que si ce magistrat avait agi dans un intérêt purement personnel (et non pour un tiers) ou à des fins inavouables de trafic d'influence ou autre... Cela ne semble aucunement être le cas.
Le magistrat se serait borné à se "fritter" (ce sont mes termes, non ceux du CSM) avec des gendarmes ayant refusé de prendre la plainte d'un artisan... et il pourrait faire, à ce titre, l'objet d'une sanction disciplinaire, uniquement en raison - je le suppose - de la forme de son intervention.
Sur le fond, il semble bien difficile de donner tort à ce fonctionnaire de justice dont l'intervention porte précisément sur l'accueil réservé aux justiciables qui souhaitent porter plainte.
Explications sur l'un des points, noir et faible, du fonctionnement de la justice.
Explications sur l'un des points, noir et faible, du fonctionnement de la justice.
Une querelle interne aux institutions judiciaires & un dossier politique ?
Il n'est aucunement question de revenir sur la forme et sur le ton des échanges qui sont intervenus entre gendarmes (cela aurait pu être des policiers, alors - surtout - que ces derniers ne se gaussent pas trop) et le juge, conseiller à la Cour d'appel de Versailles et ancien Président de Cour d'assises, car on ne saura probablement jamais qui le premier a prononcé des noms d'oiseaux. A vrai dire, peu importe.
Par expérience personnelle, je sais qu'on obtient parfois un minimum de respect de la part d'un officier de police judiciaire (gendarme ou policier) qu'à compter du moment où l'on a signalé sa profession... Et il également acquis qu'avec certain nombre de ces fonctionnaires de police ou de gendarmerie, l'effet produit est parfois l'inverse de celui escompté, car ils prennent cela pour une menace... Alors que le signal envoyé n'est pas une menace mais l'envie de bien faire comprendre qu'ils ne pourront pas raconter n'importe quoi en notre présence.
Là n'est donc pas la question. La question est davantage : il y a eu querelle, certes, mais cela est-il suffisant pour motiver la sanction d'un magistrat ? Ce magistrat avait-il raison de s'agacer du comportement des gendarmes ?
C'est un débat de fond : il est acquis aux avocats, aux magistrats du siège, aux procureurs et aux justiciables que nombre de policiers ou de gendarmes ont l'habitude "d'enfumer" le justiciable en lui expliquant que sa plainte ne sert à rien ou qu'il n'y a pas lieu de porter plainte "pour ça"...
C'est un débat de fond : il est acquis aux avocats, aux magistrats du siège, aux procureurs et aux justiciables que nombre de policiers ou de gendarmes ont l'habitude "d'enfumer" le justiciable en lui expliquant que sa plainte ne sert à rien ou qu'il n'y a pas lieu de porter plainte "pour ça"...
Ce dont il est en réalité question est d'examiner de manière critique la sanction dont le magistrat fait l'objet au regard du refus de plus en plus fréquent des dépôts de plainte...
Et cela est très clair dans le dossier : il est reproché au magistrat un manque de prudence et de retenue dans le fait d'avoir accompagné physiquement un artisan éconduit, sur place, dans les services de police judiciaire de la gendarmerie concernée qui avait refusé son dépôt de plainte.
C'est donc un problème de "cuisine", interne aux services de police judiciaire et des institutions judiciaires. Mais il n'y a aucunement trouble manifeste à l'ordre public, ni même recherche d'un intérêt particulier propre au magistrat mis en cause, et encore moins obstruction à enquête, bien au contraire.
Par conséquent, pour des faits qui ont simplement consisté à voir des gendarmes (je répète ç'aurait pu être des policiers) se faire engueuler par un magistrat (de manière justifiée sur le fond), la sanction d'abaissement d'échelon semble lourde, disproportionnée.
Il aurait dû faire de même, au téléphone, depuis son cabinet ou depuis chez lui, en usant du même ton, et - j'espère - des mêmes qualificatifs. Car tout le problème est là : sur le fond le magistrat a raison.
Il aurait dû faire de même, au téléphone, depuis son cabinet ou depuis chez lui, en usant du même ton, et - j'espère - des mêmes qualificatifs. Car tout le problème est là : sur le fond le magistrat a raison.
En réalité, il faut lire entre les lignes : la vraie faute du magistrat du siège pourrait être, après son passage au poste de gendarmerie, d'avoir remué ciel et terre pour faire entendre raison aux institutions, que ce soit de la police judiciaire ou du parquet, en passant notamment par des courriers adressés directement par ses soins au Garde des Sceaux et des "flyers" adressés à ses collègues magistrats.
Si le CSM peut valablement reprocher à son fonctionnaire de justice de s'être rendu personnellement au poste de gendarmerie où s'est produit un échange de tirs verbaux, il ne peut en revanche pas sanctionner un magistrat pour avoir accompli ce qui, à mon avis fait partie de ses attributions : dénoncer le fonctionnement d'une partie de la justice, la plus importante ; celle qui mène ou non un dossier devant le juge et devant le procureur.
Le dossier est donc par trop empreint d'une traînée politique : ne faites pas de remous ; vous êtes en train de dire beaucoup trop fort ce que tout le monde pense tout bas ; cela dérange le Ministre, voire davantage que le Ministre. Aïe ! Dommage pour les stats.
L'impuissance du justiciable face au refus des poursuites, inertie naturelle des services de police/gendarmerie et du Procureur de la république
Pour tenter justifier de sa décision, le CSM n'y va pas avec le dos de cuillère : il décrit volontiers le magistrat sanctionné comme un brin « rigide » et « pénétré de l’importance de ses fonctions ».
Eh, bien, zut ! Il a raison, ce magistrat. Et le fait qu'il soit rigide ou qu'il se prenne trop au sérieux (puisque c'est ce que cela signifie) ne mérite absolument pas un abaissement d'échelon. Une admonestation paternelle, un avertissement... ce que vous voulez, je ne sais pas et je me fiche de savoir comment le CSM classifie ses sanctions... mais pas un abaissement d'échelon !
Nous, pauvres avocats, sommes loin d'avoir le pouvoir et la puissance de feu d'un magistrat face aux autorités policières ou de gendarmerie. On a beau baver, nos postillons n'atteignent guère le bleu uniforme, quand bien même il nous arrive d'avoir mille fois raison (pas toujours, mais cela nous arrive). Par conséquent, je ne peux que donner raison à ce magistrat d'avoir agi comme il a agi : ses tirs croisés de mots fleuris échangés avec les autorités de police / gendarmerie sont un baroud d'honneur que je salue.
Et, oui, disons-le haut et fort, chers membres du CSM, Madame le Garde des Sceaux, et, vous, procureurs, commandants de la police et de la gendarmerie qui refusez régulièrement les plaintes de nos clients : il y en a assez de vous voir mépriser les justiciables au point de leur raconter n'importe quoi sur la règle de droit ou son application.
Si cela n'arrange pas le taux de résolution des affaires du commandant, du ministre ou du procureur, entendez-le bien : le justiciable français s'en fiche ; ce qu'il souhaite, ne serait-ce que d'un point de vue matériel (sans parler de l'aspect psychologique), c'est d'être entendu et qu'il soit compati à sa douleur dans un effort de prise de plainte, même si on sait que cela ne changera rien à la résolution de l'affaire.
Le justiciable en a besoin vis-à-vis de son assureur et de son comptable : quand une victime se présente, il me semble superflu pour ne pas dire carrément déplacé de lui jeter un regard qui signifie "je m'en fiche de ton problème" en lui expliquant de manière mensongère que le "délit n'est pas caractérisé" ou que ça ne servirait à rien de porter plainte.
La toute puissance des institutions enfin dénoncée par un magistrat s'agissant du refus de réception d'un dépôt de plainte
Et alors, faites-moi plaisir, ceux que je fustige : attaquez-moi en diffamation et je serais ravi de faire une magnifique offre de preuve (vive l'exceptio veritatis) notamment en produisant de nombreuses attestations de clients et des courriers de classement sans suite par différents parquets de France... classement sans suite opéré pour des raisons parfaitement injustifiées, tel que cela peut être aisément démontré. Vous connaissez l'effet Streisand ? Non ? Ca va venir.
Mais voilà qu'on touche le fond de l'affaire : que le Procureur classe sans suite, parce que le dossiers ne couvrent que des "préjudices individuels" et trop peu l'intérêt général... ce que les difficultés de budget de la justice et d'encombrement des juridictions ne peut plus permettre de poursuivre. On peut l'entendre.
Mais il faut le dire tel quel : "désolé, votre affaire, nous n'avons pas le pognon pour instruire et poursuivre votre affaire... faites une citation directe avec votre avocat, si vous avez suffisamment d'éléments, ça nous arrangera" (cela d'ailleurs m'inspire un autre article à venir précisément sur la citation directe).
Mais il faut le dire tel quel : "désolé, votre affaire, nous n'avons pas le pognon pour instruire et poursuivre votre affaire... faites une citation directe avec votre avocat, si vous avez suffisamment d'éléments, ça nous arrangera" (cela d'ailleurs m'inspire un autre article à venir précisément sur la citation directe).
Mais qu'on refuse un dépôt de plainte à un artisan, un professionnel ou un particulier pour des raisons qui sortent totalement du Code pénal et du Code de procédure pénale, est clairement abusif. Et, le magistrat qui dénonce cela ne devrait pas être sanctionné par le CSM, car il avait mille fois raison de taper du point sur la table.
Car, nul doute que c'est moins le comportement du magistrat au poste de gendarmerie que l'extériorisation de sa pensée, après l'incident, auprès du Garde des Sceaux et de ses collègues magistrats qui semble poser problème.
Car, nul doute que c'est moins le comportement du magistrat au poste de gendarmerie que l'extériorisation de sa pensée, après l'incident, auprès du Garde des Sceaux et de ses collègues magistrats qui semble poser problème.
La décision de sanction du CSM pourrait donc être excessive si elle entérinait l'abaissement d'échelon proposé... et j'espère, dans une telle hypothèse, qu'elle serait frappée d'appel et réformée : un magistrat, tout fonctionnaire qu'il soit, ne devrait pas être bâillonné au point de ne plus pouvoir dénoncer les dysfonctionnements d'une machine dont il est un des rouages.
A défaut, c'est sa liberté d'expression qui est remise en cause : son droit de critique sur l'institution à laquelle il appartient... étant entendu que, à cet égard, il n'a pas été excessif dans l'exercice de cette liberté, puisque ses missives se sont bornées, selon le propre rapport du CSM, à toucher le Garde des Sceaux et ses collègues magistrats.
Aucune autre publicité ne peut lui être reprochée.
Aucune autre publicité ne peut lui être reprochée.
Il y a là un problème fondamental, une atteinte à un droit fondamental, qui méritent amplement d'être défendus et sur le fond et sur la forme, y compris jusque devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
A mon sens, le CSM ne peut pas violer le droit à la liberté d'expression de ce magistrat car il sanctionnerait abusivement et de manière excessive un comportement et des écrits postérieurs aux seuls faits qui pourraient éventuellement être sanctionnés, mais de manière bien moins excessive que ce qui a été requis.
Mais ce serait alors peut-être fait exprès, s'agissant d'un public (très) averti en matière de droits fondamentaux : le but est être de passer un message ? Si non, eh bien... il passera quand même et pas forcément dans le sens espéré. C'est aussi cela l'effet Streisand.